Il est plus tard que vous ne le croyez



À l’origine, Quentin Fromont nous parle de cette villa cernée par la mer, estivale et méditerranéenne. Une villa étrange qui prend des accents mythologiques, de décors qui rappellent la deuxième saison de la série The White Lotus et le luxe aride des hôtels siciliens. Elle émerge de nos premiers échanges avec Quentin, et nous suspend dans un temps flottant, à l’arrêt. Au beau milieu de nulle part. À l’extérieur, une forêt de pins. À l’intérieur, des présences peuplent ce lieu. Quelque chose de terrible s’y est peut-être produit. Les propriétaires ont-iels quitté les lieux ? Se sont-iels enfui.exs ? Noyé.exs dans les flots ?

Au fur et à mesure de nos rencontres, la villa s’efface. Elle disparaît parce que nous sommes à l’intérieur et que nous oublions que nous sommes en train de l’explorer, rasant les murs, pas à pas. Les fantasmes autour des figures masculines irriguent les pièces. Dans cette zone aux temps disloqués où il est plus tard que vous ne le croyez, l’espace fonctionne selon ses propres règles, à l’écart.

Des strates historiques de la villa émergent des mythes, comme des pensées de Quentin qui se bousculent et se superposent dans l’atelier. Il évoque le mythe d’Endymion. La déesse Séléné plonge Endymion dans un sommeil éternel afin qu’il garde sa jeunesse et sa beauté. La villa devient un espace mental, gorgée de songes où les corps masculins s’imposent et s’enchevêtrent sous le soleil brûlant.

Ce lieu est séduisant autant qu’il inquiète. Il est un refuge où les êtres se libèrent, où les langues se délient, où la sexualité se réinvente. Des ex-votos ornent les murs, on ne connaît ni leur fonction ni les prières secrètes qu’ils renferment. Célébration du corps ou du rêve d’une autre communauté possible. Ces objets rituels, Quentin y tient. Il nous parle sans cesse de mouler les ex-votos. A qui les dédie-t-il ?

Les boucliers qui jonchent le sol s’effritent, se brisent sous nos pas. Dans la fontaine, luit une huile qui perle sur la peau. Utilisée pour sacraliser un être dans la religion, elle permet aussi la lubrification, la préparation avant un combat. La figure du lutteur se répète et interroge la domination, le désir de conquête mais aussi la violence interne qu’impose le contrôle des corps. Ces images sont tirées de films pornographiques et de la captation du quotidien de l’artiste. Elles sont ensuite retravaillées par des outils numériques et des techniques d’impression lorsque l’image est encore liquide puis par le transfert à l’eau. Ce processus permet de dégager une certaine ambiguïté. Elles révèlent la puissance du fantasme, du désir et de la crainte qu’elles inspirent. Il est difficile de penser la sexualité sans la domination. 

Ces images pourraient être un souvenir traumatique lointain. Elles évoquent les codes et la diversité des fantasmes véhiculés par la pornographie. De quoi sont faits les fantasmes ? Sommes-nous libres de désirer ? Ces représentations, parfois menaçantes, appellent à déconstruire la force de l’imaginaire pornographique.

Entre séductions et dangers, le diable rôde et le piège pourrait se refermer. Le récit initiatique fonctionne comme une mise en garde. Le lit à tête céleste est annonciateur d’une fin funeste ou rédemptrice. C’est précisément dans ce sanctuaire, lieu où sont enfouis secrets et violences subies que l’on pratique des rites inavouables. On y découvre la photographie du reflet de l’artiste à l’hôpital sous perfusion. Il regarde ce monde de loin, isolé. Des corps valeureux à un corps malade à soigner, les fantasmes laissent place à une réalité brutale et douloureuse. Les médicaments deviennent la relique du corps fragile, arrimé à la machine mais combattant.

- Camille Gouin, Talia Hausman et Maya Sahed



Vue d’exposition à la galerie du Crous à Paris, 
Forêt de pins et Dernier écho, 2024